La roue du consentement (Wheel of Consent ®) est souvent ramenée à l’une de ces deux expériences :
- Un schéma incompréhensible
- Le jeu des trois minutes qui est proposé dans certains cercles autour de la sexualité positive (les questions avec lesquelles on joue en ateliers en sont inspirées : es-tu d’accord de… ? puis-je… ?)
Pour moi, c’est bien plus.
C’est pourquoi, je voudrais vous présenter ce modèle, ou plutôt cette pratique dans une série d’articles, au fil de l’eau.
Nb : pour les anglophones les plus curieux, je vous invite aussi à consulter les vidéos de la créatrice : Betty Martin, ici, ou là ou à lire son livre
Pour commencer, je me permets même un pas de côté, pour partager ce que cette roue représente pour moi, plutôt que comment elle est construite.
La roue du consentement, pour moi, c’est :
- Pratique verbale et physique, en lenteur et en conscience
- Prise de conscience qui fait bugger des croyances inconscientes
- Mise en lumière bienveillante de nos propres ombres
- Exploration de nouveaux espaces relationnels
- Modèle de transformation personnel, relationnel et social
La roue du consentement : une pratique verbale et physique
Certes, il y a un schéma et un gros livre, mais on peut en parler longtemps, le trésor se trouve la pratique, dans la lenteur, la sécurité, la conscience de soi et la rencontre.
« Slow down », ralentis : c’est le mot d’ordre de la pratique.
Ralentir pour prendre le temps de ressentir ce que cela fait,
- comment c’est sur ma peau ?
- quelles sont les sensations physiques ?
- quelles sont les émotions ?
- que disent les petites voix ?
- qu’est-ce qui me freine ?
- par-dessus quoi je passe, quelle part de moi j’ignore pour « faire quand même » ?
Ralentir pour avoir le temps de rassembler le courage ou plutôt pour avancer à un rythme qui ne brusque pas mon système d’alerte intérieur.
La lenteur permet la sécurité nécessaire pour oser contacter en vulnérabilité mon désir (quel qu’il soit) et oser le mettre en partage dans la relation à l’autre.
Ralentir enfin, pour ressentir ce que cela fait de recevoir ce que l’on a demandé, d’avoir été entendu·e, ou peut-être d’avoir essuyé un refus.
- Comment je me sens ?
- Qu’est-ce je me dis de moi ? de l’autre ?
- Quelles sont mes peurs ?
- Est-ce que je sais recevoir dans la paix et la joie ?
- ou bien quelque chose de la peur de perdre le contrôle, d’abuser viennent-ils gâcher la fête ?
- Suis-je en train de me sentir responsable à la place de l’autre ?
- Suis-je en train de laisser l’autre décider pour moi ?
Il y a tant de ressentis et croyances à explorer qu’il faut du temps pour les laisser émerger et un espace sécure pour le mettre en mots.
La roue du consentement : une prise de conscience qui fait bugger
On vit nos relations souvent en mode automatique, nous n’avons pas conscience des programmes qui nous font agir, sentir, penser, croire comme nous le faisons. Quand la pratique quitte le territoire de la performance, pour entrer avec autant de sécurité que possible dans la pratique lente pour ressentir, alors certains conditionnements deviennent visibles.
Pourquoi…
- je n’ai pas osé dire que j’aurais préféré ceci ou cela alors que c’était mon rôle de recevoir et de guider pour que ça me plaise le plus possible ?
- aucune envie ne me vient en tête une fois que j’ai demandé les deux-trois trucs que je demande systématiquement ?
- j’ai accepté de faire tel truc alors que je n’étais pas à l’aise et que la consigne de l’exo était de dire mes limites le plus honnêtement possible ? et que l’autre personne m’y a invité plusieurs fois ?
- je n’arrive pas à croire que la personne qui fait l’exercice avec moi n’est pas en train de s’ennuyer ou de me trouver nul·le ? Comment se fait-il qu’elle me remercie à la fin ?
- je suis ému·e et angoissé·e de percevoir que la personne avec moi a vraiment à cœur que je passe un bon moment ?
Traverser l’inconfort pour retrouver de la liberté
Quel est cet espace où l’on cesse d’avoir du panache, d’être bravache, audacieux, fonceur et que tout alors semble nouveau, mouvant, inquiétant et beau à la fois ?
Comme si la partie qui avait toujours eu peur en secret continuait de raconter son histoire dans ma tête où remontent en même du corps, de la peau, du cœur des informations de sécurité, de lien, et d’une forme d’amour (je ne parle pas de sentiment, mais de cette sensation de faire partie de la même espèce humaine) : il y a un BUG qui se passe d’abord de mots.
Un changement radical, furtif peut-être, d’une autre sensation d’être au monde.
Vivre ce serait donc cette autre chose ?
La roue du consentement : une mise en lumière bienveillante de nos propres ombres
Dans les pratiques du consentement, on oppose souvent une catégorie de la population (par ex. les hommes) à l’autre (par ex. les femmes – pardon les non-binaires…) : les uns doivent calmer leurs ardeurs et se mettre à l’écoute et les autres doivent muscler leur jeu et oser dire.
Les statistiques des violences sexistes et sexuelles sont bien sûr sans appel : tout le monde est touché, et les femmes et proportionnellement les trans sont les plus touché·es.
Une approche non-genrée
Je me retrouve pourtant mieux dans une approche non-genrée. Certains trouvent ça absurde : « comment peux-tu parler de consentement, sans parler de genre ? ». On peut l’aborder bien sûr, puisque nos conditionnements sont en effet nourris de stéréotypes de genre, de même que la loi et la culture.
Toutefois, ce qui me semble plus important à souligner, ce n’est pas tant telle ou telle catégorie de personnes qui “fait problème”, mais la dynamique relationnelle et culturelle sous-jacente : la manière dont chacun vit les différences de pouvoir.
Je pars du constat que nous sommes tous, ou presque, à la fois « dominant » et « dominé ». Genre, revenu, statut, niveau de langue, diplôme supposé : traite-t-on tout le monde avec les mêmes égards ? pose-t-on nos limites de la même manière avec tout le monde ? Et où en est-on de cette tendance à « laisser faire » les choses qui ne nous conviennent pas vraiment, tendance tranquillement absorbée pendant l’enfance (depuis les changements de couches ou de bras intempestifs quand on était bébé aux longues heures à l’école alors qu’on aurait voulu jouer, expérimenter, dormir ou dessiner…sans parler bien sûr des expériences traumatiques où laisser faire relevait du réflexe de survie)
Du conflit à l’union
Je préfère avoir un point de départ qui nous réunit, au lieu de nous opposer. « Nous » au sens large : famille, cercle d’amis, collègues, société.
Et cela passe par le fait d’accepter de voir nos propres parts d’ombre. Tant que « l’autre » est seul en faute, je peux m’éviter le profond inconfort de questionner mes propres parts d’ombre.
C’est pour cela que je fais le choix de ne pas parler du consentement dans des situations de violence. Je préfère aborder les situations du quotidien, où objectivement je pourrais avoir le choix ou laisser le choix, mais… où quelque chose me freine…
La roue du consentement nomme les ombres de chaque quadrant, pas comme un jugement mais comme un effet mécanique du manque de communication ou d’intégrité. Cette précision aide à observer les moments où l’on sort de la relation claire et équilibrée pour entrer dans la zone grise…
Partager des expériences pour renforcer le sentiment de communauté et de sécurité
Partager des expériences pour renforcer le sentiment de communauté et de sécurité
Les ateliers offrent l’espace pour en parler, pour partager nos expériences, pour accueillir la peine qui accompagne parfois ces prises de conscience. Certains osent les exprimer et sont accueillis dans ce cheminement :
- « Je me rends compte que j’ai toujours vécu en dehors du consentement .»
- « Je me rends compte que dire non n’est pas aussi facile pour les autres que pour moi et que je les ai parfois brutalisés à exiger qu’ils se positionnent. Je croyais les aider, mais je leur faisais violence. »
La roue du consentement : une exploration de nouveaux espaces relationnels
Les exercices permettent de tester des questions très simples et qui pourtant sont souvent employées pour la première fois. Ils permettent aussi de recevoir des réponses les plus authentiques possibles dans l’instant et de pratiquer dans cette clarté et cette sécurité.
C’est ici où le recâblage intervient à nouveau. Vivre plusieurs fois ces expériences de clarté et ces échanges verbaux ou physiques sans craindre d’embêter, d’être agressé·e, de devoir aller plus loin que souhaité, de vexer en demander un ajustement, de devoir supporter alors que c’est un peu nul, d’être jugé·e sur une demande « trop » simple ou « bizarre », d’avoir l’air faible (complétez avec vos propres craintes habituelles…)
Se sentir vu et entendu… sans jugement
Vivre l’expérience de demander quelque chose pour soi, d’être entendu·e et que cette chose arrive, sans moquerie ou autre… ça a quelque chose d’extraordinaire.
N’être « que » soi, un instant. Être vu·e et accueilli·e ainsi. Sans que rien ne s’effondre, que rien n’arrive d’autre que la simplicité de l’instant.
Cela permet d’envisager de nouveaux espaces dans nos relations. Oser plus, laisser plus de place, mettre du jeu dans le mécanisme contrôle par nos peurs et nos croyances.
Une nouvelle ouverture. Un nouvel espoir.
J’étais à une soirée sur les violences sexistes et sexuelles (je n’en fais pas mon thème principal mais je me tiens quand même informée 😉), j’ai entendu cette remarque très juste du président du GAGL45 :
Comment demander à des personnes de communiquer et de se comporter avec respect quand elles-mêmes n’en ont jamais fait l’expérience ?
J’ai trouvé cette remarque d’une grande justesse. Et c’est ce que j’ai trouvé dans les expériences qui accompagnent la diffusion de la Roue du consentement ® : faire ces expériences relationnelles de respect qui sont si rares dans le quotidien, tellement rare que c’est, parfois, une première fois.
En ateliers, on joue souvent au jeu du « je veux » : on se demande plusieurs minutes de suite « qu’est-ce que tu veux ? » avec chaque fois une réponse que l’on ne commente pas. Et ce n’est pas rare que dans le débriefe quelqu’un dise que c’est la première fois qu’on lui demande ce qu’il·elle veut… 30, 40, 50 ans à passer entre les gouttes. Comment alors s’étonner que souvent, on ne sache même plus quoi dire avec 3, 4 ou 5 « qu’est-ce que tu veux ? ».
Les nouveaux espaces à explorer sont aussi les espaces de soi que l’on a mis à l’abri et parfois même oublié. Le temps, la douceur, la sécurité servent d’écrin à leur réapparition.
La roue du consentement : un modèle de transformation personnelle, relationnelle et sociale
La Wheel of consent ® c’est une invitation à développer de profondes qualités humaines :
- Générosité, dans le quadrant Servir qui offre sans attentes
- Intégrité, dans le quadrant Prendre qui assume ses désirs et fait des demandes claires
- Abandon, lâcher prise dans le quadrant Permettre qui donne accès à ses ressources dans la confiance et la tranquillité qu’elles seront respectées
- Gratitude, dans le quadrant Accueillir le cadeau avec délice et respect
C’est parce que j’ai découvert le consentement par cette pratique que je porte ce concept comme je le fais, avec, je crois, douceur et équilibre. Parce que, s’il est radical, il est aussi d’une profonde humilité et humanité. Nous ne sommes pas toujours éduqués dans un vécu très sain de ces qualités et notre culture qui valorise l’objectification de l’autre pour mon bénéfice ne saurait être plus éloignée du message porté ici.
C’est pourquoi j’ai à cœur de diffuser cette pratique. Je donne souvent cette image : si on n’est pas satisfait du monde comme il est, ça ne sert à rien de le « combattre » avec les mêmes armes (un gagnant / un perdant). Tant qu’on se bat dans la même piscine, rien ne changera. Il faut réussir à changer de bassin, d’autres règles, d’autres relations. Alors, un changement pourra s’ancrer.
J’ai travaillé dans le développement durable en entreprise, j’étais certifiée pour faire des bilans carbone il y a bientôt 20 ans, j’ai été 4 ans élue syndicale, j’ai animé des ateliers en maison d’arrêt, j’ai étudié la psychologie du travail, j’ai travaillé dans l’insertion, j’ai fréquenté des milieux militants (féministes, écologiques)…
Bref, j’ai longtemps cherché « la » cause dans laquelle m’investir. Sans trouver…
S’engager et contribuer au changement culturel
Toujours ce même sentiment de la goutte d’eau à contre vent, ou le sentiment d’absurdité de devoir choisir entre la terre, les femmes, les détenus, le climat, les animaux, les enfants, les salariés, les pauvres, les malades, les vieux, les personnes isolées…
Toujours l’impression qu’on s’attaque au symptôme et pas aux causes, cette crainte d’épuisement sans que rien ne change. Et cette impossibilité de ne pas agir au risque de sombrer dans le désespoir.
Alors, en toute simplicité 😉, avec ces pratiques du consentement, j’ai l’impression d‘avoir trouvé une des clés de transformation qui me semble agir à la racine.
Construire l’expérience puis le sentiment de sécurité avec soi, avec l’autre est pour moi un prérequis à toute transformation sociale.
« Tant que je me protège, je ne peux pas créer ».
La roue du consentement, les pauses tendresse, les ateliers portent tous en eux cette ambition de faire vivre une autre manière d’être ensemble pour créer le désir de changement.
Ne pas changer pour se soumettre à une nouvelle norme, mais parce que c’est doux, parce que c’est mmmmh, parce que, au plus profond de moi, c’est « ce que je veux ».
Et vous ?
Et vous, si vous connaissez, qu’est-ce que c’est pour vous ?
A bientôt pour de nouveaux articles sur ce sujet. Si celui-ci vous a plus, partagez-le et invitez les personnes que vous pensez intéresser à s’abonner à la newsletter ou à venir tester un atelier !